Ch.20 : Curiosités de Rue  

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Pompéi était , pour son époque, une grande ville de province, avec sa vie et ses activités.
Les rues de Pompéi offraient, dans les quartiers populaires, dans la rue de Stabies par exemple, un spectacle animé: toutes les boutiques grandes ouvertes avec leurs marchandises exposées, les nombreux thermopolium, la population très dense et habituée à vivre dehors, emplissant la ville de bruit et de cris. Tout le long des rues ouvertes aux voitures, comme la rue de Stabies et la rue de Nola, des trous, traversant de part en part l'angle de la bordure du trottoir, tenaient lieu d'anneaux pour attacher les animaux. Il n'y en a pas dans la rue de l'Abondance, dont les deux extrémités ne sont pas accessibles aux voitures ni dans les rues barrées par des bornes plantées au milieu de la chaussée ou par une chaîne mobile . Les façades des maisons étaient ornées de peintures parfois ombragées d'une treille dont quatre briques en carré ou quelques pierres protégeaient le pied . Une petite pierre plantée contre le mur le mettait à l'abri des chocs .

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Ici et là, quelques colonnes abritaient sous un portique un bout de trottoir, par exemple, dans les rues du Forum , de Nola, de la rue de la Marine . Devant les maisons des bancs invitaient aux longues conversations des soirs d'été avec les voisins. Si un angle de mur faisait une avancée, un banc commandant le trottoir permettait de voir arriver de loin les passants .
Les affiches électorales couvraient les murs de leurs grandes lettres rouges . On affichait aussi des avis de location : "A louer dans l'île Arriana, à dater du premier juliust, des boutiques avec les chambres au-dessus", "A louer dans la propriété de Julia Félix des boutiques avec les chambres au-dessus, les bains de Vénus, un premier étage"; les objets perdus ou volés avec promesse de récompense : "Une marmite en cuivre a disparu de la boutique ; celui qui la rapportera recevra quinze sesterces ; celui qui fera connaître le voleur recevra aussi".

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Les promeneurs lisaient sur les albums, (des affiches..) des communications, des avis, des annonces de jeux, de spectacles. Aux boutiques les enseignes représentaient des dessins géométriques, des instruments de métier, des images parlantes : hommes portant une amphore pour un marchand de vin , chèvre pour une laiterie , des petits cadres renfermant des rosaces, des damiers en pierres diverses, signalaient peut-être des fabricants de mosaïques, de marqueterie;  une auberge avait comme enseigne un éléphant.

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Autour des fontaines les ménagères se pressaient. Un aqueduc haut placé dans la montagne, desservant plusieurs villes associées, amenait à Pompéi. par l'un de ses bras, l'eau qui, grâce à la pression, montait dans des réservoirs placés de distance en distance sur des colonnes et de là se distribuait dans les quartiers environnants. Deux larges rainures ménagées dans ces colonnes abritaient le tuyau de montée et le tuyau de descente. Des tuyaux plus petits s'embranchaient sur les plus gros par l'intermédiaire de petites caisses carrées, en plomb comme les tuyaux . En face de la petite porte de la maison des Vettii, on voit, dans le trottoir laissé ouvert à dessein au pied d'une colonne, l'embranchement de nombreux tuyaux . Un peu partout, dans Pompéi, les tuyaux de plomb sont à découvert  Ils courent parallèlement sur les deux trottoirs ou côte à côte sur le même, sortent de sous terre au bord du trottoir , le gravissent , longent les murs des maisons , passant dessous ou le traversant ou encore entrent simplement dans la maison par les fauces .

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Des tuyaux plus petits se détachent pour gagner les péristyles ou les autres parties de la maison , alimenter les fontaines et les petites statues des impluviums et des bassins entrer même dans les colonnes des atriums ou des péristyles pour en ressortir en jets d'eau . Des clefs livrent ou ferment le passage à l'eau, souvent dissimulées sous le cartibulum . Les tuyaux se déversent dans les cuves , les piscines, les fontaines publiques. Ces fontaines sont voisines des colonnes ; leur modèle est uniforme sauf ne dont la vasque est semi-circulaire : elles se composent d'une vasque carrée que domine un cippe orné de sujets divers par où l'eau s'échappait : têtes de Minerve, de Méduse, de Mercure, d'Apollon, de la déesse Salus, de lion, de tigre, de taureau, de renard ; masque tragique, Silène et son outre, coq posé sur l'urne, aigle enlevant un lièvre, gourde avec sa courroie, trois cercles concentriques. Les plus anciennes fontaines sont en tuf, le grand nombre en calcaire de l'époque romaine, deux en marbre . Devant le temple de Jupiter Milichios et la rue de Nola , deux bornes fontaines, sans bassin, sont protégées par un chasse-pierre .

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Les arcs de triomphe de Tibère au Forum et de la rue de Mercure ont été utilisés comme colonne d'ascension pour les eaux. Au pied de l'arc de la rue de Mercure, subsistent les restes de deux fontaines en marbre .
En haut de la ville, à la porte du Vésuve, on a découvert en 1902 un Château d' Eau alimenté par un aqueduc . On n'en a pas encore suivi la canalisation. Vitruve,dans ses traités, disais de construire à l'entrée de l'aqueduc, dans la ville, près des remparts, un château d'eau à trois émissaires de chacun desquels part un tuyau, le trop-plein des deux émissaires de côté doit se déverser dans celui du milieu destiné aux lavoirs et aux fontaines jaillissantes ; l'un des deux autres sera réservé aux bains, le troisième aux particuliers. Le Château de la porte du Vésuve ne devait pas fournir une grande quantité d'eau; cependant il est de tout point conforme au précepte de Vitruve.

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Dans l'intérieur, au-dessus de la bouche d'entrée de l'aqueduc, une peinture représente le génie de l'aqueduc et, avec lui, trois nymphes ; sans doute les nymphes des sources qui l'alimentaient. Avant de gagner les émissaires, l'eau passait par ­dessus  deux  petits murs qui retenaient les sables et les impuretés lourdes. Ce château desservait sans doute les quartiers bas, près de la porte de Stabies.
Près du Forum, un réservoir était prêt, en cas d'accident ou de grosse réparation aux "aqued cs", à fournir sa réserve.

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Des autels permanents, dédiés aux Lares publici ou aux divinités protectrices, s'élevaient dans les rues . L'un d'entre eux porte le nom de la déesse Salus. Un autre  est formé d'une meule de moulin renversée. Au-dessus des autels figuraient des peintures de divinités. Quelquefois, ces peintures tenaient lieu d'autel : telles, au coin de la rue de l'Abondance, les images des douze grands dieux, un buste de Minerve , une niche et, entre les deux serpents, un autel peint , Jupiter peint au fond d'une niche . Près des autels, un banc invitait les passants au repos . Ces laraires publics prenaient aussi la forme dune petite chapelle. 

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La rue de l'Abondance se rattachait au Forum : des gens riches y habitaient; ses boutiques devaient être luxueuses surtout du côté sud. Interdite aux voitures, elle avait, comme la rue de Mercure, un aspect aristocratique, plus animé cependant : voir la rue de Mercure, et plus haut.  Plus elle avance vers l'ouest, plus la rue de Nola devient aristocratique.
Le vilain quartier de Pompéi, mal fréquenté, aux maisons suspectes, est voisin de la belle rue de l'Abondance et occupe tout spécialement les îles de la quatrième région. La partie basse de la rue de Stabies représente le quartier pauvre et populaire, surtout dans la première région.

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Les trottoirs étaient très élevés à Pompéi à cause de l'insuffisance des égouts, les fortes pluies et les orages envahissaient la chaussée. Des pierres plates, de distance en distance, reliaient les trottoirs, utiles même par les temps secs, car on pouvait ainsi traverser la rue sans descendre et remonter la bordure élevée ; parfois aussi une marche taillée dans la bordure permettait de monter plus facilement là où les pierres plates faisaient défaut; entre ces pierres, des fois, les ornières que les roues des chars qui ont creusées et, par là, comment les voitures passaient entre les pierres. Le dallage des rues est fait de gros blocs de lave polie . 

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Deux serpents sur les murs équivalent à l'avis bien connu : défense de déposer... Rue du Lupanar, les deux serpents sont accompagnés d'une inscription : " // n'y a pas de place ici pour les oisifs ; passe, toi qui voudrais t'arrêter". Ailleurs, à un homme en posture devant deux serpents : "Cacator, redoute le châtiment" : à côté de lui se tient la Fortune. Près de deux serpents on lit : "Bonne santé, cacator, pourvu que tu dépasses ce lieu". Sur un mur de la rue de la maison des Noces d'argent une inscription peinte, en partie métrique, menace d'une peine le stercorarius qui serait surpris. Dans l'angle d'un mur masqué par un bloc de maçonnerie, une Minerve peinte rappelle sans-doute au respect des murs. 

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Les graffites, inscriptions tracées à la pointe sur les murs, sont des curiosités de Pompéi, On y surprend les idées, les pensées de la foule dans leur saveur, sur des contextes d'événements historiques , des élections , de la fidélité aux empereurs , des monuments plus haut, , des sentiments religieux , des acteurs , des gladiateurs, des thermopolium,  des auberges , des métiers , chaque fois que l'occasion s'en présentait.
Souvent on écrivait des vers de poètes à la mode : de Virgile surtout, de Lucrèce, de Properce, de Catulle. On rencontre les premiers mots de l'Enéide et de La nature des choses de Lucrèce.

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Les graffites familiers aussi, dont beaucoup ont trait à l'amour : d'abord ce principe : "Personne n' est beau s'il n'a aimé". Puis un beau compliment à Vénus : "A moi tous les amoureux, je veux rompre les côtes de Vénus et, à coups de trique, casser les reins de la déesse";" elle a pu percer mon tendre cœur, pourquoi donc ne pourrais-je pas, avec mon bâton, lui briser la tête"; ces vers sont certainement d'un amoureux éconduit ; peut-être de celui que repoussait Serena : "Serena en a assej d'Isidore", ou bien de Tertius qui recevait de son amie ce compliment : "Que tu es laid !" Tous cependant n'étaient pas aussi malheureux,  celui entre autres qui a  écrit ceci : "Bonne santé à qui aime; périsse qui ne sait pas aimer ; périsse deux fois quiconque défend d'aimer!"  Et ces vers délicats : "aujour­d'hui la colère est récente encore, garde-toi de paraître" ; "crois-moi, si elle a pleuré l'amour reviendra". Et ceux-ci : "J'écris, c'est l'amour qui me dicte et Cupidon qui me guide; ah ! que je meure si, sans toi, je voudrais être un dieu!"  Un joli compliment : "Vous n avé pas vu Vénus? Regardé ma petite amie, elle est pareille". 

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On lit des vœux de ce genre : "Bonjour Victoria, puisses-tu, ou que tu sois, éternuer heureusement !" On voit que l'habitude de saluer ceux qui éternuent est plus ancienne que le Moyen âge ; et ces souhaits de bonne année : "Heureux premier janvier à nous tous pendant de longues années!" Quelques-uns signalent leur passage à un endroit. : "un tel s'arrêta ici", ou une ren­contre : "Ici Romula et Staphylus se sont rencontrés" ; mais Staphylus était volage car ailleurs on lit : "Ici Staphylus a rencontré Quieta". Quelquefois c'est un simple salut gravé près de la porte, une carte de visite : "Aemilius à son frère Fortunatus salut", ou bien : "Cresces à Cissonius salut". Voici un gracieux compliment : "Cestilia, reine des Pompéiens, âme très douce, salut !" et des vœux moins aimables : "Samius à Cornélius : Va te faire pendre ou : tombe malade !" 

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Suit une malédiction contre un cabaretier : "Puisses-tu être victim. de tes fraudes, cabaretier : tu nous vends de l'eau, et c'est toi qui,bois ton vin !" On lit aussi des acclamations patriotiques : "Vive Auguste, Vivent les deux Fabius ! Romulus est dans le ciel" ; une tête de femme avec le mot Romae. La pensée qui suit est d'un parasite:  "Celui chez qui je ne dîne pas est pour moi un barbare"; de même celle-ci : "Bonne santé à quiconque m'invite à dîner". Il en est qui écrivent leur dépense : "huile, i livre, 4 as; paille, 5 as; foin. 16 as; salaire d'un jour, 5 as; son, 6 as ; guirlande, 3 as; huile, 6 as"; d'autres, ce qui leur est dû : "le 4 des ides de février : Vettia, 20 deniers, intérêts : 12 as ; Faustilla, 15 deniers, intérêts : 9 as". Voici un détail de basse-cour: "La veille des calendes de mai j'ai mis les œufs sous la poule". Ce qui suit est un fait divers : "le 27 septembre une femme de Pouzzole à accouché de trois fils et de deux filles". A Pompéi, comme partout ailleurs, il y avait des polissons ; leurs graffites que nous ne reproduirons pas le prouvent. Et encor, ces deux vers plusieurs fois écrits sur les murs de Pompéi : "O murailles, je suis surpris que tu ne te sois pas encore écroulée sous le poids des insanités dont tant de gens te couvrent !"

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Les graffites prouvent qu'il ne faut pas, à cause de ses peintures, de ses œuvres d'art et des influences environnantes, regarder Pompéi, à l'époque romaine, comme une ville d'esprit grec. Les Pompéiens employaient les peintres qui, par tradition, présentaient, comme autrefois, leurs modèles rarement renouvelés ; ils achetaient les œuvres d'art qu'on leur offrait ; mais leurs pensées, leurs lectures, leurs idées, étaient toutes romaines. Dans ces inscriptions écrites spontanément sur les murs, ce sont les auteurs latins, les poètes particulièrement, dont les vers reviennent sans cesse ; les empereurs, les membres de la famille impériale y sont plus d'une fois acclamés. Pompéi était bien, en l'an 79 de notre ère, une ville complètement romaine.