Ch.11 : Graffitis et Inscriptions
L'épigraphie de Pompéi ne consiste pas uniquement en des inscriptions d'un caractère public et monumental, gravées pour la postérité dans la pierre, le marbre ou le bronze.
Directeur des fouilles de 1860 à 1875, Giuseppe Fiorelli a imaginé de diviser Pompéi en « arrondissements » ou « régions » (en latin regio), chaque arrondissement se divisant en îlots (insula) délimités par quatre rues, chaque maison (aèdes) de l’îlot recevant un numéro ; ainsi la maison des Vettii se trouve dans le VI° arrondissement, îlot 15, numéro 1, ce qui se note en abrégé VI, 15, 1, ou Reg. VI, ins. 15, aed. 1.
Exception faite pour un certain nombre, assez important, d'inscriptions en langue osque datant de la période pré-romaine, Pompéi ne nous a pas livré grand' chose de très précieux au point de vue de l'épigraphie publique. Par contre, le matériel est riche en ce que nous pourrions définir l’ épigraphie d'occasion : peintures ou inscriptions laissées sur les murs, surtout sur les murs extérieurs des édifices publics et des maisons particulières.
À ce point de vue, on peut dire que toute la ville ne forme qu'une immense archive où il nous faut puiser, jour par jour, toute la documentation possible, avant que le temps et les intempéries n'en aient effacé toute trace. Tous les événements, grands et petits, de la chronique quotidienne, élections à des charges municipales, spectacles à l'amphithéâtre, location et vente de maisons et de terrains, annonces pour retrouver une bête de somme perdue, toute cette publicité empruntait, pour tableau de son affichage, le crépi des constructions, sur lequel exerçait ses talents toute une classe de scriptores, s'ingéniant à dessiner de belles majuscules, à peindre en rouge sur crépi blanc ou en blanc sur fond rouge.
Plus variée, plus intime, plus humaine est l'épigraphie sous forme de " graffiti , gravés sur le crépi à la pointe du style ou de n'importe quel instrument apte à égratigner l'enduit des murs. Ces " graffiti „ ne sont pas tracés en lettres majuscules; on leur réserve l'écriture courante, parfois toute menue. À cette époque, le matériel nécessaire pour écrire était rare et coûteux. Le papyrus et les " tabula ceratae „ avaient l'insigne honneur d'être réservés aux œuvres littéraires et aux documents administratifs d'un caractère juridique. Tout le reste, on le confiait volontiers à la pointe d'un style et au crépi d'une muraille. L'aubergiste dressait ses comptes de boutique à même sur le mur, à côté de son comptoir de vente; le tenancier d'un tripot inscrivait de même ses entrées, et les dettes de sa clientèle; l'homme d'affaires, une date consulaire; les amoureux, une pensée, quelques mots d'amour; les écoliers, les signes de l'alphabet ou quelques vers qu'ils devaient faire entrer par force dans la mémoire.
La foule des oisifs et des flâneurs se divertissait à rédiger des injures, des menaces ou à esquisser des caricatures. Les amateurs des spectacles de l'amphithéâtre nous ont laissé le souvenir de leur enthousiasme pour leur champion favori et une bordée d'insolences à l'adresse de la faction contraire. Il n'est pas jusqu'aux habitués des lupanars et autres lieux de ce genre qui ne nous aient pas laissé quelque échantillon de leur savoir-faire obscène. Et voici que, grâce à toutes ces inscriptions, la vie semble renaître dans la solitude de Pompéi désensevelie et nous faire entendre les mille et mille voix d'autrefois. Et voici que se dresse devant nos regards non pas le tragique tableau du dernier spasme de vie de toute une population, mais ce qu'il y a d'éternel dans l'esprit humain: une pensée, un sentiment, exprimés par la parole écrite!
Le genre le plus en vue dans l'épigraphie pompéienne est le programme électoral, maladie qui sévissait avec fureur. Les façades des édifices en sont littéralement tapissées, surtout par les affiches des citoyens les plus influents. En grandes lettres majuscules s'étalent le nom du candidat, le titre de la charge à laquelle il aspire, et enfin, exprimé en sigles, son appel à la faveur publique (Oro vos faciatis). Souvent, à côte du nom du candidat, on peut lire celui d'un citoyen ou d'une corporation qui appuient la candidature.
Citons un exemple :
Pop(idium) Secund(um) Aed(ilem) d(ignum) r(e) p(ublica) Tiburtinus rogat.
À la catégorie des affiches publiques, il faut rattacher les annonces des spectacles à l'amphithéâtre. Quelques-unes étaient placées sur la façade de la " Casa di Trebio Valente „ , dans la zone des fouilles nouvelles. L'une d'elles, précédée du nom du scriptor Polybius, donnait aux Pompéiens l'avis suivant:
D. Lucreti Satri Valentis flaminis Neronis Caesaris Au-g(usti) f(ili) perpetui glad(iatorum) par(ia) XX; et D. Lucreti Valentis fili glad(iatorum) par(ia) X pugn(abunt) Pompeis ex a(nte) d(iem) nonis apr(ilibus). Venatio et vela erunt.
IInnombrables étaient les graffiti qui échappent à l'attention du flâneur, soit à cause de la difficulté de les déchiffrer, soit à cause de leurs caractères trop menus. Les monuments publics les plus fréquentés étaient bien entendu les plus exposés à la manie épigraphique des citoyens, des scriptores improvisés, à tel point qu'on peut lire en trois endroits différents, sur les murs de la Basilique, du Théâtre et de l'Amphithéâtre, un distique qui ne manque pas d'ironie et d'humour:
Admiror, paries, te non cecidisse ruinis, qui tôt scriptorum taedia sustineas.
Je suis émerveillé, ô mur !, que tu ne sois pas encore tombé en ruines sous le poids de toutes les niaiseries dont on t'a recouvert .
Quelques exemple de inscription concernant les jeux des gladiateurs :
P[RO SALVTE GER]MAN[ICI CAESARIS TI] CLAVDI V[E]RI M RV FELICITER
FAM(ILIA) GLAD(IATORIA) PVGN(ABIT) [... MA]RT(IAS) POMPEIS VEN[ATIO ATHLET]AE SPARSIONES QVA DIES PATIENTVR ERVNT
Pour la santé de Germanicus César Tiberius Claudius, les gladiateurs de la troupe de Verus combattront les ... mars (ou février ?) à Pompéi. On donnera une chasse, des concours d’athlétisme. On répandra des parfums pour rendre les journées plus agréables. Vive Verus !
CVMIS GLADIATORVM PARIA XX ET EORVM SVPPOSITICII PVGNABVNT KALENDIS OCTOBRIBVS III PRIDIE NONAS OCTOBRES CRVCIANI (=CRVCIARII) VENATIO ET VELA ERVNT CVNICVLVS SCRIPTOR LVCCEIO SALVTEM
À Cumes, vingt paires de gladiateurs et leurs remplaçants combattront le 1er, le 5 et le 6 octobre. On assistera à des supplices et à une chasse. Les voiles seront tendues. Cuniculus (« Lapin ») donne le salut à Lucceius.
LVCRETI] VALENTIS FLAMINIS NERONIS AVG(VSTI) F(ILII) PERPETVI D(ECIMI) LVCRETI VALENTIS FILI(I) [FAM(ILIA) GLAD(IATORIA) PVGNABIT POMPEIS] P COLONIA
V KAL(ENDAS) APRIL(ES) VENATIO ET VELA ERVNT
Cette affiche annonce un spectacle pour la même date que la précédente. On remarque sur la droite le reste d’une information qui pourrait être pro colonia[e ...] : « Pour ... de la colonie ».
Quelques graffiti au hasard :
M Holconium Priscum II vir i d pomari[i] universi cum Helvio Vestale rog Marcus Holconius Priscus duumvir !
Les marchands de fruits à l'unanimité, d'accord avec Helvius Vestalis, votent pour lui.
C Cuspium Pansam aed muliones universi Agatho Vaio
d'accord avec Agathus Vaius votent pour lui.
C Iulium Polybium II vir chypari rog
Gaius Julius Polybius duumvir. Les marchands d'oignons votent pour lui.
Cuspium Pansam aed aurifices universi rog
Cuspius Pansa édile ! Les orfèvres à l'unanimité votent pour lui.
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