Ch.10 : La Mosaique
La maison pompéienne aimait à compléter sa toilette par une profusion de mosaïques décoratives. Il n'est pas une demeure, riche et noble, qui fasse exception à la règle. Même les maisons les plus humbles sont décorées de mosaïques, naturellement plus modestes, La richesse des motifs décoratifs dans les pavements en mosaïque est, pour ainsi dire, inépuisable. Du type, simple et primitif, en " cocciopesto „ (opus signinum), on passe graduellement, à travers quelques exemples de " lithôstroton „, formés de petites pierres blanches, jaspées de pierres colorées, à la véritable mosaïque, blanche et noire ou polychrome, enrichie d'une grande variété de dessins géométriques et, souvent même, de scènes et d'emblèmes se référant à la nature, ou à la chasse, ou à la navigation, ou encore aux jeux gymniques.
Parfois, au centre des plus nobles pièces d'une riche demeure, le pavement se pare d'une mosaïque, d'une technique plus soignée, dont le sujet exotique trahit l'influence et souvent même la main des mosaïstes d'Alexandrie. Plus tard, à l'époque des Flaviens, la mosaïque sera remplacée par des pavements à incrustations (opus sectile), incrustations de marbres rares formant des dessins géométriques. Quant à la décoration murale, se manifeste une prédilection marquée pour l'accentuation chromatique qui caractérise toute la dernière période de l'existence de Pompéi.
L'opus signinum représente le type le plus ancien de décoration du sol. On en a découvert de nombreuses traces dans la Pompéi d'avant Sylla; il s'agit d'un pavement comprenant des fragments de briques et d'amphores fichés dans une couche de chaux où on insérait également des tesselles blanches de « palombino » pour créer une suite de points réguliers ou un tapis à motifs géométriques.
En même temps on voit apparaître les emblemata, c'est-à-dire de petits tableaux centraux, formés de tesselles minuscules de plusieurs couleurs, où sont reproduites des scènes calquées sur les modèles de la grande peinture grecque. A l'époque de Sylla, les mosaïques n'échappent pas au goût du jour qui se traduit dans les peintures décoratives du IIe style; elles aussi nous offrent des perspectives en trompe-l'œil moyennant des caissons où la couleur des tesselles se dégrade progressivement, des réticules de losanges aux bords cubiques et des méandres format perspective.
Vers la fin de l'âge républicain les mosaïques sont plus simples, en noir et blanc; elles forment des motifs géométriques (sabliers, étoiles à 8 pointes) ou présentent des personnages insérés dans des bordures ondulées, des dents de loup et des échiquiers. De sobres mosaïques géométriques caractérisent aussi la première partie de l'âge impérial; à partir de Claude et de Néron les éléments traditionnels de décoration reprennent le dessus et envahissent la composition tandis que dans les mosaïques représentant des personnages on découvre les jeux de lumière qui sont une conquête de la peinture de la même époque, celle du IVe style.
La période du premier style fut à Pompéi la belle époque des mosaïques. Avant de revêtir les murs de marbres précieux aux couleurs variées, l'Orient les avait couverts de grands personnages peints. Le marbré nu des murailles fut une réaction contre cette mode. Chassés des murs, les personnages se réfugièrent sur le sol et, avec eux, l'ornementation polychrome.
De grands sujets ornèrent, au centre, le sol des chambres, et, tout autour du sujet principal, sur les seuils des portes, autour des impluviums, s'épanouirent, avec leurs couleurs variées, des fleurs, des guirlandes, des pampres, des fruits, des raisins, des rubans, des masques, des attributs divins, de petits sujets. Des dessins géométriques, noirs sur fond blanc, d'une grande finesse, d'une infime variété de combinaisons, s'étendirent sur le sol de toutes les pièces comme de riches tapis. Cet art eut, aussi bien que la peinture des murs, ses phases et ses évolutions pendant près de trois siècles.
La plus belle, la plus célèbre aussi des mosaïques de Pompéi est celle qui, au fond du péristyle de la maison du Faune ornait l'exèdre. Dans le sujet qu'elle représente, on a reconnu la bataille d'Alexandre. Cette mosaïque, reproduction d'un ancien tableau peut-être contemporain des événements, est pleine de vie. La mêlée et l'agitation du combat ne sauraient être mieux rendues; l' étude des types, des costumes et des armures est pleine d' intérêt; mais tout s'efface devant la scène tragique, à trois personnages, qui, bien plus que l'ensemble du combat, forme le sujet du tableau. A l'extrémité de la mosaïque, à gauche, Alexandre, la tète découverte, son casque étant tombe dans l'ardeur du combat, transperce, avec une longue lance, un des chefs de l'armée de Darius qui combattait devant le char de son souverain. A demi tombé sur son cheval renversé, le mourant saisit à pleine main la lance qui pénètre dans sa poitrine. Le conducteur du char de Darius emporte son maitre au galop des chevaux et l'arrache à la mort. Darius, dans son impuissance, appuyé de la main gauche à l'arrière du char qui l'entraine, se penche, tendant, avec une indicible expression d'angoisse, le bras droit désarmé vers le guerrier, peut-être son ami, qu'il ne reverra plus.
L'architrave de cette exèdre reposait sur deux colonnes corinthiennes et deux pilastres rouges entre lesquels un seuil en mosaïque représentait le Nil et les animaux qui vivent sur ses bords et dans ses eaux : ibis, hippopotame, crocodile, uraeus, et ces innombrables bandes d'oiseaux aux couleurs variées qui, aujourd'hui encore, se posent sur ses bancs de sable. Les mosaïques et les peintures offrant des sujets égyptiens ne sont pas rares à Pompéi : l'art de Pompéi, en effet, était alexandrin. Il ne faut pas oublier non plus que, par un phénomène fréquent et de tous les temps, à la suite de la bataille d'Antium, sur tout le territoire romain, les représentations de sujets égyptiens devinrent à la mode et se multiplièrent. Comme autrefois l'influence de l'orient, l'influence romaine poussa aussi les Pompéiens à l'imitation des arts de l'Égypte.
Deux autres mosaïques d'un très bel art signées de Discordes de Samos et sur lesquelles figurent des scènes de comédie, ornaient la villa dite Villa de Cicéron.
Les seuils des portes, avons-nous dit, se paraient souvent de mosaïques; la maison du Faune nous en offre un bel exemple. Celui qui franchissait le seuil du corridor donnant entrée dans l'atrium foulait une mosaïque représentant, avec un puissant relief, des masques tragiques, des raisins, des couronnes, des fleurs et des fruits. La mosaïque se prêtait aussi à des décorations plus simples : un petit carré inscrit au centre dune grande mosaïque unie ou ornée de dessins géométriques recevait le sujet principal.
C'est ainsi que dans une chambre de la maison du Labyrinthe, au milieu des méandres du labyrinthe, un petit tableau nous montre Thésée vainqueur du Minotaure et, derrière lui, les jeunes gens et les vierges de Grèce que son courage a sauvés. Près de la porte du Vésuve, une mosaïque représentait l'Académie de Platon. Encore dans la maison du Faune, une des plus belles mosaïques de Pompéi, un génie bachique chevauchant une panthère, ornait le centre du pavé d'un triclinium. Au milieu des alae de l'atrium de la même maison, des colombes égrènent avec leur bec un collier de perles qu'elles tirent d'une cassette, un chat, qui s'est introduit au milieu de victuailles, dévore une caille.
LOn voit ainsi la mosaïque descendre vers les tableaux de genre et même se prêter à de curieuses fantaisies : celle d'un triclinium représente un sol couvert d'épluchures, d'os, de tout ce qu'auraient pu laisser tomber à terre des convives peu soigneux. Récemment on a trouvé, sur le sol d'une maison de la sixième région, un portrait de femme que n'aurait pas désavoué un peintre. La mosaïque ne se borna pas toujours à décorer le sol des maisons. Elle couvrait, comme nous l'avons déjà constate, de ses brillants cubes en verre donnant parfois l'illusion de l'email, des fontaines et des colonnes ; elle prit même possession des murailles et, sur un mur du jardin de la maison d'Apollon, des mosaïques représentèrent des sujets chers aux peintres de Pompéi : Achille à Scyros dévoilé par la ruse d'Ulysse, la colère d'Achille, les trois Grâces. Le premier de ces trois sujets est encore en place.
Ch.11 : Graffitis et Inscriptions...