Ch.6 : Lettre de Plinius
Le 5 février de l'an 63 après J-C, Pompéi fut presque entièrement détruite par un tremblement de terre. Sénèque raconte ainsi cet événement précurseur de la catastrophe finale de l'année 79.
"- Pompéi, ville célèbre de la Campanie, devant laquelle d'un côté le rivage de Stabies et de Sorrente, de l'autre celui d'Herculanum se rejoignent pour former, en face de la grande mer, un golfe charmant, vient d'être renversée par un tremblement de terre dont ont souffert toutes les contrées voisines ; et cela pendant l'hiver, saison que nos ancêtres croyaient à l'abri de ce danger. C'est le jour des nones de février, sous le consulat de Régulus et de Virginius qu'eut lieu cette catastrophe. La Campanie, toujours exposée à ce fléau et qui, tant de fois déjà, sans autre dommage que la peur, y avait échappé, est aujourd'hui couverte de morts et de ruines. Herculanum aussi s'est en partie écroulé et ce qui reste debout n'est pas sans inquiéter. La colonie de Nocéra, moins gravement atteinte, cependant n'est pas indemne. Naples, légèrement touchée par la terrible catastrophe, a beaucoup souffert dans les maisons particulières, moins dans les édifices publics. Des villas situées sur des sommets ont tremblé sans éprouver de dégâts. Ajoutez à cela un troupeau de six cents brebis tuées, des statues fendues et, après le désastre, des hommes privés de raison et hors d'eux-mêmes errant au hasard.
« D'autres secousses suivirent, plus bénignes, à la vérité, funestes cependant, parce qu'elles s'attaquaient à des édifices éprouvés et disjoints, qui, déjà chancelants, attendaient, pour s'écrouler, non pas un choc, mais un simple ébranlement. –"
Voici donc un premier récit de cette première catastrophe que même importante, n'avais rien encor a voir avec ce que quelques années après devait arriver. La ville de Pompéi et toutes les autres de la région, se remisent de cette dure épreuve. Pompéi fut améliorées, modifié, embellie. Mais l'histoire de cette ville comme celle de tants d'autres de cette région vésuvienne, ne devait continuer tranquille, bien d'autres projets étaient destinés à cette région. Seize ans plus tard, alor que la reconstruction venait a sa fin, le 24 Aout de l'an 79 de notre ère , un terrible et définitif cataclysme devait effacer à jamais la vie autour du Vésuve.
Nous en avons un témoignage précis et oculaire du fils de Pline l'Ancien, Pline le Jeune; il raconte à l'historien Tacite les événements qui se sont passés et lui fait part aussi de ses impressions, dans un récit de deux lettres à lui envoyées à témoignage des ces moments terribles. Mieux vaut reproduire en entier les deux lettres de Pline le Jeune. Aucun récit ne saurait être aussi vivant ni aussi vécu........
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__« Vous me demandez, afin d'en pouvoir transmettre à la postérité un récit plus fidèle, que je vous raconte la mort de mon oncle; je vous en remercie, et je sais que, divulguée par vous, sa mort fera sa mémoire immortelle...
__« Il était à Misène où il exerçait le commandement de la flotte. Le neuvième jour avant les calendes de septembre (24 août 79), vers la septième heure, ma mère l'avertit qu'on voit une nuée de dimensions et d'aspect extraordinaires. Il avait pris son bain de soleil puis d'eau froide et, après avoir mangé étendu, s'était mis au travail. Il demande ses sandales et monte en un lieu d où il pourrait mieux observer ce phénomène prodigieux. La nuée s'élevait; les spectateurs ne purent pas, de si loin, distinguer de quelle montagne; 011 sut plus tard que c'était du Vésuve. Plus que tout autre arbre, le pin peut donner une idée de la forme et de l'apparence de cette nuée. En effet, projetée en l'air comme un tronc immense, elle s'épanouissait en rameaux. Je crois que, élevée par un souffle subit qui ensuite s'affaiblissait et l'abandonnait, ou vaincue par son propre poids, elle se dispersait en largeur, tantôt blanche, tantôt sombre et tachetée, suivant qu'elle entraînait de la terre ou des cendres.
__« Spectacle grandiose, digne, pour un savant, d'être examiné de plus près. Mon oncle fait appareiller un des vaisseaux légers et m'offre, si je le désire, de l'accompagner. Je réponds que je préfère travailler ; il se trouvait que lui-même m'avait donné quelque chose à rédiger. En sortant de chez lui, il reçoit un billet de Rectina, femme de Caesius Bassus, qui, effrayée par l'imminence du danger (car sa villa était au pied de la montagne et la retraite n'était possible que par les vaisseaux}, le suppliait de 1 arracher à un si grand péril. Il change d'avis et, ce qu'il avait commencé par amour de la science, il le fera par dévouement. Il fait amener des quadrirèmes et 3r monte pour secourir Rectina et beaucoup d'autres aussi; car cette côte charmante était très peuplée. Il se hâte aux lieux d'où fuient les autres; il oriente le gouvernail, dirige la course droit vers le danger, tellement libre de crainte que toutes les phases du fléau, tous les aspects changeants qu'il observe, il les dicte ou les note.
__« Déjà les cendres tombaient sur le vaisseau, plus chaudes et plus denses à mesure qu'on approchait et, avec elles, des pierres ponces, des cailloux noirs, calcinés, éclatés sous l'action du feu. La mer retirée n'avait plus assez de profondeur ; les débris de la montagne faisaient le rivage inaccessible. Mon oncle songea un moment à retourner en arrière et son pilote l'y engageait. « La fortune, lui dit-il enfin, favorise les braves. Dirige vers Pomponianus. »
__« Pomponianus habitait Stabies, ville isolée par une anse là où peu à peu la mer s'enfonce dans la courbe que décrit le rivage. A cet endroit, le péril n'était pas encore imminent, redoutable cependant et, en somme, prochain, puisqu'il avançait sans cesse. Pomponianus avait chargé tous ses meubles sur des vaisseaux, décidé à fuir dès que le vent contraire se calmerait. Favorisé par ce même vent, mon oncle le trouve tremblant, l'embrasse, le console, l'encourage et, pour le raffermir par sa sécurité, se fait porter au bain. Ensuite il se met à table et mange avec gaieté, ou. ce qui n'est pas moins grand, avec l'apparence de la gaieté.
__« Cependant sur plusieurs points du mont Vésuve on voyait luire de larges flammes et de vastes embrasements dont la nuit augmentait encore l'éclat et les clartés. Et mon oncle, pour calmer les craintes de ses compagnons, leur répétait que c'étaient des maisons de campagne désertées par les paysans épouvantés et abandonnées au feu qui les consumait dans la solitude. Alors il se coucha et s'endormit d'un vrai sommeil, car ceux qui se tenaient près de la porte entendaient le bruit de sa respiration forte et sonore parce qu'il était gros. Cependant la cour par laquelle on abordait sa chambre s'emplissait de cendres et de pierres ponce* qui montaient tellement que la sortie, s'il avait attendu plus longtemps, fût devenue impossible. On l'éveille, il sort pour rejoindre Pomponianus et les autres qui ne s'étaient pas couchés. On tient conseil : r dans la maison ou errer dans la campagne? Les maisons, par de fréquentes et longues secousses et comme arrachées de leurs fondations, s'inclinaient à droite, à gauche, puis revenaient à leur situation première. En plein air, on avait à redouter la chute des pierres ponces, légères il est vrai et calcinées. Entre les deux périls, c'est ce dernier qu'on choisit, mon oncle cédant à la raison la meilleure, ses compagnons remplaçant une crainte par une autre crainte. Avec des serviettes sur leur tète des oreillers, protection contre les pierres qui tombent.
__"Ailleurs le jour était levé, mais ici c'était la nuit, la plus noire, la plus épaisse des nuits, combattue cependant par des torches nombreuses et des lumières de toute espèce. On retourne vers le rivage pour voir de plus prés si la mer permettrait quelque tentative; elle était encore agitée et contraire. Là, mon oncle se couche sur un drap étendu, puis, puis à deux reprises, demande de l'eau froide et en boit. Bientôt des flammes qui en annoncent l'approche mettent tout le monde en fuite, contraignent mon oncle à se lever. Appuyé sur deux jeunes esclaves, il se dresse et aussitôt, tombe mort. Je suppose que cette fumée épaisse intercepta son souffle et ferma les voies respiratoires qui, chez lui, étaient naturellement faibles, étroites, souvent haletantes. Quand la lumière reparut, trois jours après que mon oncle l'avait vue pour la i retrouva son corps intact, sans blessure; rien n'était dérangé dans ses vêtements; il ressemblait à un homme endormi bien plus qu'un mort."__
Dans cette seconde lettre, Pline raconte, à Tacite encore, ses émotions et celles de la population de Misène pendant ces heures sinistres. N'est-ce, en le citant, raconter ce qui se passa aussi à Pompéi et dans toutes les villes du littoral
__"Mon oncle parti, je continue le travail pour lequel j'étais resté à la maison; ensuite, le bain, le repas, un sommeil court et inquiet. Depuis non nombre de jours la terre tremblait mais sans nous effrayer beaucoup car, en Campanie, on en a l'habitude. Pendant cette nuit, les secousses redoublèrent de violence, au point que tout semblait non agité,
mais renversé. Ma mère se précipite dans ma chambre au moment où moi-même je me levais pour aller l'éveiller si, par hasard, elle dormait. Nous nous asseyons dans la cour, espace étroit qui seul sépare la maison de la mer. Est-ce courage ou imprudence, je ne sais — je n'avais alors que dix-huit ans — mais je demande un volume de Tite-Live et, comme dans les moments de loisir, je le lis, prenant même, suivant mon habitude, des extraits. Un ami de mon oncle, récemment venu de la province de Espaniae , pour le voir, nous apercevant tous les deux assis et moi occupé à ma lecture, reproche à ma mère sa résignation, à moi ma sécurité. Je n'en restai pas moins attentif à mon livre.
__« C'était la première heure du jour et cependant la lumière nous apparaissait faible encore et douteuse. Les bâtiments autour de nous étaient tellement ébranlés, que, dans ce lieu, découvert il est vrai mais étroit, la chute des murs qui semblait certaine devenait un grand danger. Nous nous décidons à quitter la ville. La foule épouvantée nous suit, obéissant à cet instinct de la peur de regarder comme prudence la soumission à l'avis des autres ; à flots longs et serrés elle nous presse, elle nous pousse. Une fois hors des maisons, nous nous arrêtons; et là, encore des prodiges, encore des frayeurs. Les voitures que nous avions fait amener, quoique sur un terrain plat, étaient ballottées en tous sens et, même avec des pierres, on ne pouvait les maintenir en place . La mer semblait rentrer en elle-même, comme repoussée par les secousses de la terre. En tout cas le rivage s'était élargi et beaucoup d'animaux marins restaient à sec sur le sable. Le l'autre côté, une nuée noire, horrible, déchirée par l'éclat soudain de feux qui jaillissaient en serpentant, s'entr'ouvrait, laissant voir de longues flammes semblables à des éclairs et plus grandes.
__« Et alors cet ami d'Espagne nous interpelle avec plus de vivacité et d'insistance : « Si votre frère, si votre oncle vit. il veut votre salut; s'il est mort, il a voulu que vous lui surviviez. Qu'attendez-vous donc pour fuir? » Nous répondons que tant que nous sommes incertains sur son sort nous ne saurions penser à notre sûreté. Sans tarder davantage il nous quitte et par une course rapide, s'éloigne du danger. Peu après, la nuée descend sur la terre, couvre la mer; elle entoure l'île de Capriae et la dérobe aux regards; elle nous cache le promontoire de Misène. Ma mère alors me prie, me presse, m'ordonne de fuir de quelque manière que ce soit ; jeune, je le puis: quant à elle, appesantie, affaiblie parles années, elle mourra heureuse si elle n'est pas cause de ma mort. Mais moi je lui réponds que si je dois être sauvé ce ne sera qu'avec elle. Je lui prends les mains, je la contrains à hâter le pas. Elle obéit à regret, se reprochant de me retarder.
__"Voici les cendres, rares encore cependant. Je me retourne. Derrière nous menaçante, une fumée épaisse, répandue sur la terre comme un torrent , nous suivait. « Entrons dans les champs, pendant que nous y voyons encor, dis-je à ma mère, de peur que sur la route, nous ne soyons, aux milieu des ténèbres, écrasés par la foule qui nous accompagne. » A peine arrêtes, nous sommes enveloppés par la nuit, non une nuit sans lune ou obscurcie par les nuages, mais l'obscurité d'une chambre close, sans lumière. On n'entend que les cris perçants des femmes, les plaintes des enfants, les clameurs des hommes. Les uns appelaient leurs parents, d'autres leurs enfants, d'autres leur femme, ne se reconnaissant qu'à la voix. Ceux ci pleuraient sur eux-mêmes, ceux-là sur les leurs. Certains, par cruenté de la mort, appelaient la mort. Beaucoup élevaient les mains vers les Dieux; un grand nombre croyaient qu'il n'y avait plus de dieux et que cette nuit était pour le monde la dernière, l'éternelle nuit. On en vit qui, par des terreurs fausses et mensongères, ajoutaient au danger réel : " à Misène, disaient ils, tel monument s'est écroulé, tel autre est en Flamme" . Ce n'était pas vrai, mais on le croyait"__.
__"Un peu de clarté se fit, qui nous parut être non le jour mais l'indice que le feu approchait. Il s'arrêta loin de nous cependant. De nouveau les ténèbres et les cendres aussi, abondantes et lourdes. Il fallait, de temps en temps, nous lever et les secouer sous peine d'être ensevelis, écrasés même sous ce poids. Je pourrais me vanter de n'avoir, dans un si grand danger, proféré aucune plainte, aucune parole qui fût un indice de faiblesse. Je me figurais que moi avec tout et tout avec moi nous allions périr, misérable mais grande consolation de ma mort. Mais cette nuée s'éclaircit, puis, comme une fumée ou un nuage, se dissipa. Enfin le vrai jour revint; le soleil brilla, mais livide, comme dans une éclipse. Et alors , a nos regards encor encore pleins d'épouvante, tout parut changé, et , comme d'une neige abondante, recouvert d'une épaisse couche de cendres.
Rentré à Misène, et après nous être tant bien que mal remis en état, nous passons une nuit incertaine et suspendue entre la crainte et l'espérance; la crainte l'emportait. Les secousses continuaient; beaucoup, exaltés par des prédictions sinistre, se jouaient de leurs propres terreurs et de celle des autres. Quant à nous, malgré les dangers courus et ceux que nous attendions encor, nous n'eûmes pas la pensée de nous éloigner avant d'avoir reçu des nouvelles de mon oncle."
Ce tableau de Pline vient de nous tracer, cet exode de toute une population dans la campagne au milieu des ténèbres, dans la terreur d'un cataclysme que l'imagination saurait à peine se représenter, est une image adoucie de ce qui se passa à Pompéi, plus éprouvée, ensevelie sous une couche trop profonde pour que les habitants pussent, comme leurs concitoyens plus heureux de Misène, rentrer dans leurs demeures. A Pompéi. aussi, toute la population effrayée par les oscillations des édifices, s'enfuit dans les champs. Dans les rues, dans les maisons de la ville, on trouva relativement peu de cadavres ; il y en eut davantage dans la campagne, du côté de Stabies, où périt Pline, sur les bords du Sarno dont les eaux débordées mirent obstacle à la marche des fugitifs, au port où on les rencontre encore en grand nombre. Pline raconte les événements en homme éclairé, soucieux d'observer les choses avec un esprit calme et d'en faire un récit exempt d'exagération. Il se place en dehors de la foule et, à côté des légitimes motifs de terreur, nous parle peu des craintes superstitieuses qui s'emparèrent du peuple. Plus d'un siècle après, Dion Cassius en a recueilli quelques échos. On s'imagina avoir vu, pendant les jours qui précédèrent le désastre, des hommes, d'une taille bien supérieure à celle que comporte la nature humaine, paraître, le jour et la nuit, sur la montagne, dans la région environnante, dans les villes voisines et circuler dans les airs ; quelques-uns crurent que les géants, dont ils voyaient les formes au milieu de la fumée de l'éruption, se révoltaient de nouveau et entendirent les éclats des trompettes. On se figura que le soleil tombait, en s'éteignant, sur la terre, ou que la terre montait vers le ciel. Tous, et Pline parmi eux, ignorant les limites étroites de la région dévastée, furent persuadés que l'univers entier rentrait dans le chaos ou s'abîmait dans les flammes. Quelques milliers d'hommes perdirent la vie ; plusieurs villes dont les principales sont Herculanum et Pompéi périrent, et, sur leur tombe, Martial déposa de jolis vers :
__« Voilà ce Vésuve hier encore ombragé de pampres verts ; ses grappes renommées se pressaient dans les cuves humides ; voilà ces coteaux, plus que les collines de Nysa, chers à Bacchus. Naguère, sur ce mont, les satyres ont mené des chœurs. C'était une demeure plus douce à Vénus que Lacédémone ; ce lieu fut illustré par le nom d'Hercule. Tout s'est abîmé dans les flammes, tout est recouvert d'une cendre grise et les dieux voudraient n'avoir pas eu une telle puissance. »__
Il fallait attendre la XVI° siècle pour que, cette région nous redonne les émotions de ces moments et de la vie calme et pacifique qui régnait aussi. Pompéi, Herculanum, Stabies, Oplontis et tant d'autres villes et maisons, reviennent après des millénaires pour nous apporter leurs messages.