Fresque Tableau 4DIONYSOS ET LES BERGERS DU PARNASSE
On voit ici une scène pastorale : un berger et une bergère aux cheveux courts et aux oreilles pointues, sont assis sur rocher. Le garçon joue de la syrinx tandis que la jeune femme allaite un animal que certains auteurs voient comme une biche, d'autres comme un tout jeune chevreau ou une chevrette. Au premier plan, un chevreau (un chevreuil ou une chèvre ?) semble regarder le spectateur. Sur le côté gauche, un Silène joue de la lyre.Que signifie cette scène ? Paul Veyne, dans sa volonté de démythifier l'interprétation dionysiaque, voit là un épisode du banquet nuptial : le Silène jouant de la lyre serait, comme la danseuse et la cantatrice qui lui font face sur le mur opposé, l'un des artistes de la noce. Sa couronne de myrte (et non de laurier) en témoigne, il est d'abord et avant tout l'un des participants tout humains de la fête.
Son accoutrement bachique ne viendrait que de son appartenance à la confrérie des "technites" (musiciens, comédiens, danseurs et choreutes) qui se louaient pour les banquets de noces et qui se regroupaient sous le patronage de Dionysos (un peu comme les orfèvres du Moyen Age se regroupaient sous le patonage de Saint Eloy). Cette explication profane ne me convainc pas entièrement et je serais tentée d'interprétrer cette scène pastorale comme une représentation de l'enfance de Dionysos. Comme le rappelle Pierre Grimal, le dieu de l'ivresse portait en effet l'épithète rituelle de "chevreau" : pour préserver de la colère de son épouse Héra l'enfant illégitime qu'il avait eu de Sémélé, Zeus, on s'en souvient, l'avait transformé en chevreau et confié aux nymphes d'un pays lointain, appelé "Nysa". C'est d'ailleurs de ce mot "Nysa", associé au génitif du mot "Zeus" que viendrait son nom de "Dionysos". Le peintre pourrait donc faire allusion aux nymphes de Nysa allaitant l'enfant-dieu.
Pourtant, la jeune fille qui allaite le chevreau, comme son compagnon à la syrinx, a des oreilles pointues, deux traits emblématiques de Pan, le dieu-bouc. C'est que Pan aussi intervient dans le mythe dionysiaque : le Silène qui joue de la lyre pourrait bien être non pas un silène, au sens générique, c'est-à-dire un vieux satyre, mais bien Silène, au sens propre, le fils de Pan, qui passait lui aussi pour avoir élévé Dionysos. On peut d'ailleurs rapprocher cette image de la VI° Eglogue de Virgile : malgré son nez camus, son gros ventre et son ivresse, raconte le poète, Silène était habité d'une profonde sagesse qu'il refusait de révéler aux hommes ; or des bergers, qui voulaient s'emparer de son savoir, le contraignirent à chanter pour eux. La scène me semble donc regrouper, dans une sorte de raccourci, tous ceux qui ont contribué à l'éducation de Dionysos enfant.
Reste que, comme le note Gilles Sauron, ce silène est curieusement doté de multiples symboles apolliniens : la couronne de laurier (pour Paul Veyne, on l'a vu, il s'agit d'une couronne de myrte), la lyre et même la tête de cygne qui orne le plectre. La borne sur laquelle il s'appuie symboliserait donc, selon lui, le sanctuaire d'Apollon à Delphes car c'est précisément là qu'Apollon aurait enterré les membres épars de l'enfant déchiqueté par les Titans. Voué au sanctuaire d'Apollon, le Silène serait en train de chanter un chant funèbre, un "thrène" consacré à la passion de Dionysos, symboliquement évoquée dans la scène précédente.
Cette image pastorale ne pourrait donc se comprendre qu'en relation avec celle qui lui fait pendant sur le mur central où l'on retrouve le silène et les deux jeunes bergers, voués jadis, l'un à Apollon, les autres au dieu Pan, devenus compagnons de Dionysos ressuscité. Arrachés au monde de la nature, symbolisé par le lait que boit le chevreau au sein de la bergère, ils seraient désormais entrés dans la culture, symbolisée par la coupe à vin que tend le silène à son jeune compagnon. L'image de la Villa des Mystères ferait donc allusion, selon Gilles Sauron, à une révélation initiatique où serait évoqué le thème d'un passage du lait au vin.
Si Paul Veyne admet que le peintre fasse allusion au mythe d'un Dionysos-chevreuil, dieu du lait autant que du vin, il considère néanmoins qu'il ne faut pas donner un sens ésotérique à ce qui n'est que "rêverie poétique", visionbucolique où la fantaisie bachique se mêle à la pastorale : le berger-satyre vient de se dépouiller de sa fourrure de loup, la bergère-ménade garde encore sur les épaules la peau de faon dont les deux pattes se croisent sur la poitrine et tous deux viennent de sacrifier leur chevelure à leur dieu ; ce monde où les hommes et les bêtes, encore mal distingués, fraternisent, où les jeunes bacchantes, comme celles d'Euripide, "portent dans leurs bras une biche ou un louveteau farouche et leur donnent leur lait" évoque un "âge d'or dionysiaque", le monde idyllique, le paradis que va connaître la jeune mariée.